À la recherche de tranquillité (Libre)

Port Royal… Un endroit assez fréquenté. Les quais avaient été mouillés par les bottes et souliers des matelots, ça en devenait assez glissant. Beaucoup étaient ceux qui se promenaient sur les quais avec des caisses et autres moyens de transporter de la nourriture, des accessoires et beaucoup d’autres trucs du genre. Il n’était pas rare de voir des hommes passer. Certains étaient seulement assis sur des caisses et parlaient entre eux. C’était assez occupé aujourd’hui. Si on regardait plus sur l’horizon et la mer, on pouvait apercevoir les navires marchands revenir au port et parfois même, un peu plus loin, des navires de pêche, avec les membres de l’équipage qui lançaient leurs filets à l’eau, ou les remontaient, avec une tonne de poissons se débattant pour la vie qui allait bientôt leur être retiré.

Depuis déjà un bon moment, le Fire Falcon avait accosté sur ces quais pour que l’équipage puisse prendre une pause de la dernière aventure en mer, qui avait duré près de trois semaines. L’ensemble de l’équipage de ce superbe bâtiment de la Compagnie des Indes semblait ravi que tout soit fini. Un peu plus tôt, les officiers étaient venus chercher des pirates qui allaient bientôt pourrir en prison avant d’être exécuté dans les temps qui suivraient.

La jeune Alice était sortie du navire, ayant abandonné l’uniforme de celui-ci à un simple pantalon beige et un chandail blanc. Elle n’était pas du genre à adorer son uniforme, et elle se réjouissait de porter ce qu’elle avait toujours porté depuis sa plus tendre enfance. Non mais… Elle ne voyait pas vraiment le ‘but’ de devoir toujours mettre des robes ou n’importe quels autres choses. L’Acadienne portait son bandana rouge sur la tête, encore une fois. Ça lui épargnait les rayons du soleil trop fort qui frappaient sur sa chevelure blonde. Aujourd’hui, la journée s’annonçait assez chaude. Et le soleil scintillait dans toute sa splendeur et sa chaleur. Une journée idéale pour prendre une pause de toutes ces cartes.

Alice s’était mise à marcher hors des nombreux quais du port, se dirigeant vers un endroit qu’elle aurait espéré un peu plus calme. Une voix s’était ensuite fait entendre derrière elle…

Perdue. Elle s’était perdue ! Non mais quelle idiotie – ou quelle malchance, dans le meilleur des cas – de s’être perdue lors de sa première sortie en ville depuis des mois ! Onze mois, plus précisément. Onze mois enfermée sur un maudit navire avec des matelots pervertis qui sentaient encore plus mauvais que le ragout de poulet du cuisiner ! Cela irritait Eva au plus haut point. Après tout, elle avait seulement voulue sortir faire un tour dehors ; le capitaine avait donné l’autorisation de s’aventurer en ville pour la journée. Mais non ! Elle avait été fichue de se perdre au beau milieu de nul part, dans un endroit ou elle ne connaissait personne. Elle devait être de retour a bord du bâtiment avant la soirée, sans quoi le bateau partirait sans elle. Le capitaine avait d’autre chose à faire que de retrouvé les imbéciles qui s’était égarées… Et bien entendu, elle n’avait aucune idée d’où pouvait bien se trouver le navire par rapport a ou elle était.

Le soleil était déjà bien haut dans le ciel. Il devait être aux alentours de treize heures. Ca faisait plus d’une heure qu’Eva vagabondait dans la ville à la recherche des quais, et elle s’arrêta net, en colère, sur le bord d’un arbre. Elle se laissa glisser le long du tronc et elle s’assit dans l’herbe. Elle décompressa quelques secondes, puis leva les yeux vers le ciel. C’était insensé ! Port-Royal était, selon ce qu’Eva avait entendu dire, une petite ville deux-cent fois moins grande qu’Amsterdam. Et pourtant elle ne s’était jamais perdue à Amsterdam…

Elle se releva, bien décidée à demander des indications a quiconque qui passait prés d’elle. Elle était normalement timide, mais la c’en était trop. Sa frustration surpassait sa gêne. Cependant la chance ne semblait pas de son coté ; l’endroit était désert… « C’est pas possible, le monde entier est contre moi…! », se dit-elle lorsqu’elle remarqua qu’elle attendait depuis une dizaine de minutes. Elle allait craquer au moment ou elle aperçue une femme qui s’approchait d’elle.

- Madame…, l’appela-t-elle alors que la femme passait a coté d’elle. Mais elle ne sembla pas l’entendre puisqu’elle continua son chemin sans même porter un coup d’œil à Eva. Hey, madame !, se reprit-elle en suivant la femme. J’ai… J’suis un peu perdue…

Elle s’était rendue assez loin du port, maintenant. Pas exactement dans le centre de Port-Royal, mais dans une des nombreuses rues résidentielles. Se promener ici était plutôt agréable, ça changeait d’air un peu. On ne pouvait presque plus entendre la cacophonie qu’il y avait sur les quais, seulement un peu plus de calme. C’était assez relaxant, fallait avouer. C’était surtout le fait de ne plus entendre des matelots se crier des trucs sur le pont qui semblait plus relaxant..

Premièrement, la voix ne semblait pas y être adressée, donc Alice ne fit que continuer tranquillement son chemin vers … Bien, vers nulle part en particulier fallait croire. Puis la voix retentit encore une fois, rajoutant qu’elle était perdue. Perdue ? Dans une ville telle que Port-Royal ? Comment est-ce possible ? « Sûrement une nouvelle » S’était-elle dit, arrêtant de marcher et se retournant vers la petite étrangère. « Nouvelle, ça doit être ça, je ne l’ai jamais aperçue par ici. » Les mains sur les hanches, elle regarda l’inconnue avec un petit sourire en coin. Celle-ci avait un petit accent… Définitivement, elle ne devait pas venir du coin. Son inspection de quelques secondes prit fin après un moment et elle arrêta son regard émeraude sur la jeune femme.

- Pardue, fit-elle, d’une voix un peu amusée mais assez calme. Mais par où t’v’lais aller pour te pardre comme ça ?

La jeune femme replaça une de ses mèches blondes qui était tombée de son bandana. Définitivement, cette petite pause s’annonçait assez amusante… Surtout de savoir que quelqu'un autre qu'un enfant pouvait se perdre dans une ville telle que celle-ci. C'était peut-être un peu familier pour l'acadienne, mais quand même...

Eva dévisagea son interlocutrice sans comprendre. De toute son enfance elle n’avait jamais entendu un pareil accent. Elle avait déjà de la difficulté à comprendre certains mots du français standard, et la manière dont parlait cette femme n’aida pas Eva à saisir le sens de la phrase. La jeune femme avait l’impression que le destin se jouait d’elle, que les Dieux se moquaient d’elle. Le cours des événements était tellement insensé. Et maintenant quoi de plus frustrant que de ne pas comprendre ce que disait cette femme alors qu’elle essayait probablement de l’aider ! Eva réalisa comment elle devait avoir l’aire ridicule de la fixer de cette manière, et elle détourna donc son regard quelques secondes avant de le reporter sur la dame. Elle avait les yeux d’un vert éclatant, de longs cheveux blonds et le teint pale. Eva fit mine de ne pas prendre en note l’air amusé de son interlocutrice.

- Pardon..?, finit-elle par dire d’une voix pleine d’innocence. Je… Je viens d’ailleurs.

Eva rougit tellement elle se trouvait stupide en ce moment même. C’était sa faute si elle s’était perdue, sa faute si elle ne comprenait pas. Elle baissa les yeux, puis soupira. Elle en avait fait assez pour aujourd’hui. Elle s’en voulait.

- J… J’suis désolée, se reprit-elle sans regarder la femme. J’vais pas… vous embêter plus longtemps.

Elle marqua une pause, puis tourna les talons. Elle se mit à marcher vers l’endroit d’où elle venait, tête baissée, espérant trouver son chemin par elle-même. Elle détestait se retrouver dans ce genre de situation. Elle n’était tellement pas douée avec les mots. Encore là, elle s’en voulait. Elle aurait tant aimé être parfaite, ou du moins, être normale… Eva repensa une foi de plus a son père, lui qui avait toujours eu la solution a ses problèmes. Elle se revoyait dans sa petite maison de bois, dans les bras de sa mère. Elle se revoyait, là, en train de jouer dans la neige avec les autres enfants…

Elle ravala ses larmes puis continua son chemin sans se retourner.

Définitivement, cette jeune femme, qui avait environ son âge, venait d’ailleurs. Son accent qui lui était inconnu en était une bonne preuve. Elle venait de lui dire qu’elle n’avait rien compris… Alice ne fit que faire un petit sourire, un peu fière de ses origines, tout en se rappelant toutes les choses qu’elle avait vécu là-bas, en Acadie. Que de bons souvenirs… Bien que ceux-ci se stoppent à son enfance, le reste étant coupé par cause qu’elle-même avait voulu l’oublier. Son accent devait bien être étrange pour ceux qui ne savaient pas le parler, et celle-là semblait avoir beaucoup de difficulté à la comprendre.

Sans qu’elle n’ait pu placer un mot de plus, la jeune étrangère s’en alla, lui disant qu’elle ne voulait pas lui attirer plus d’ennuis, ou un truc qui pouvait ressembler à cela. Elle semblait un peu triste… Mais pourquoi ? Qu’est-ce qu’elle avait dit ? L’Acadienne revint dans ses paroles prononcées, ne trouvant pas ce qui aurait bien pu offencer celle-ci. Peut-être de la manière qu’elle l’avait regardé … ? Elle n’y comprenait rien ! Quand elle ressortit de ses pensées, la jeune femme semblait déjà assez loin. Encore une fois, elle remarqua assez vite qu’elle semblait avoir un peu de peine, marchant la tête baissée. Qu’avait-elle ?

Sans vraiment comprendre, Alice se mettait déjà à marcher dans sa direction. Pourquoi voulait-elle l’aider d’un coup ? Pourquoi à chaque fois que quelque-chose de semblable arrivait, elle changeait carrément d’attitude Elle-même ne se comprenait pas à chaque fois. Pourquoi une soudaine vague de compassion, un soudain chagrin envers une personne, juste en la voyant pleurer ou triste soudainement ? Trop émotive, notre jeune Acadienne, fallait dire. C’était une sorte d’empathie, et c’était pour cette raison qu’elle détestait être envers ceux qui étaient faibles… De peur de devoir se montrer faible elle aussi. Une faiblesse ? C’est ce qu’elle en disait. Sûrement une de ses plus grosses. C’était aussi la raison pour laquelle elle pouvait se montrer arrogante envers ceux qu’elle ne connaissait pas…

-A…Attends !, lâcha-t-elle, d’une voix qui pouvait presque sembler suppliante.

Bref, elle continuait de marcher vers la jeune femme, une main tendue devant elle. Rendue assez près, sa main toucha l’épaule de la blonde et elle la tourna vers elle doucement, ne voulant en aucun cas lui faire mal ou lui faire plus peur qu’elle pourrait lui avoir fait juste en lui touchant l’épaule…

-Que c’est que t’as à pleurer ? Je t’ai vexé..?

Les nuages commençaient lentement à envahir le ciel, faisant disparaître le soleil et donnant un peu de fraicheur à la journée. Eva marchait, tête baissée, sans regarder autour d’elle. Elle ne savait plus à quoi penser, sinon de mettre un pied devant l’autre. Gauche, droite, gauche, droite, gauche… Ca devait faire quelques minutes qu’elle avançait ainsi, sans se retourner pour voir la réaction de la femme qui avait voulue l’aider. Une fine pluie commença à tomber, mouillant les cheveux blonds d’Eva. Même la température semblait mélancolique à ses yeux. Pourquoi tant de tristesse alors qu’elle avait été si contente, quelques heures auparavant, que le navire accoste au port ? Ca n’avait aucun sens. Comme son existence, d’ailleurs. Vivre pour se faire dire quoi faire par des hommes de pouvoir, pour permettre à un quelconque roi de s’en mettre plein les poches. C’était de la folie, mais elle ne pouvait rien y faire. Elle était aussi impuissante qu’un poisson dans un aquarium.

Une voix retentit derrière elle, et Eva reconnu immédiatement la voix de la femme. Elle ne se retourna pas et elle continua de marcher. Elle n’avait pas envie d’avoir l’aire encore plus stupide, de s’en vouloir davantage et d’être encore plus triste qu’elle ne l’était déjà. Elle voulait simplement oublier sa journée, de se réveiller et d’être dans son lit douillet quelque part en Norvège… Si seulement c’était aussi simple, pensa-t-elle. La femme persista, et une main toucha l’épaule d’Eva. Elle se retourna –ou plutôt, elle se fit retourner-, la gorge nouée, pour faire face à son interlocutrice.

« Que c’est que t’as à pleurer ? »

La phrase résonna dans son esprit l’espace de quelques secondes. Elle essuya ses yeux d’un revers de main, faisant disparaitre les larmes qui s’apprêtaient à couler. Elle tenta de retenir ses pleurs et de soutenir le regard de l’inconnue, mais un sentiment profond s’empara d’elle. La peine remplaça la mélancolie, et sa vie sembla défiler sous ses yeux. Elle ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun son ne sorti. Elle réalisa comment sa vie était inutile, comment son existence ne valait rien. Sa vision s’embrouilla alors que des larmes lui montaient aux yeux. Elle n’en pouvait plus. La douleur était trop forte.

Elle se laissa littéralement tomber dans les bras de l’inconnue, blottissant sa tète contre la poitrine de la femme. Et elle éclata en sanglots. Elle pleura jusqu'à temps qu’elle se sente mieux, jusqu’à-ce qu’elle puisse penser plus clairement. Ca faisait si longtemps qu’elle gardait ses sentiments pour elle-même, qu’elle enfouissait sa souffrance au plus profond de son esprit et qu’elle mentait en disant que tout allait bien. Le ballon venait d’éclater. Après quelques minutes, elle recula d’un pas, essuya son visage et regarda l’inconnue en face. Elle se sentait déjà un peu mieux, et cette femme la rassurait pour on ne sait quelle raison. Elle la fixa, souhaitant une certaine compassion de sa part. Eva espérait seulement que la femme réagisse bien…

La pluie tombait de plus en plus fort alors que les rues commençaient à se vider. Les habitants de Port-Royal rentraient chez eux.

La pauvre… Elle semblait tellement triste, comme prise dans de nombreux souvenirs douloureux. L’Acadienne remarqua assez rapidement que les larmes lui coulaient sur les joues à elle aussi en voyant le visage de la jeune femme, qui semblait dévastée par une grande tristesse qui lui semblait si profonde. Ça faisait mal à voir. Alice ne savait pas pourquoi chaque fois qu’elle voyait une personne dans cet état, elle avait toujours le goût de pleurer elle aussi. Les larmes se firent plus fréquentes sur les joues de l’inconnue, puis elle se jeta carrément sur elle, éclatant dans des sanglots amers. Si ça aurait été elle qui lui aurait causé cette peine, la jeune inconnue ne se serait surement pas blotti dans ses bras de cette manière. Alice, un peu sous le choc de cette réaction, resta figée pendant un moment. Que faire dans une situation comme celle-ci ? Elle n’avait jamais vécu ça…

Pour tout dire, elle se sentait vraiment mal pour celle-là. Peu importe ce qui lui causait une telle douleur, ce devait être vraiment intense pour qu’elle le pleure comme ça, sur elle. Elle semblait tellement mal que ça lui brisait totalement le cœur. Instinctivement, l’Acadienne referma ses bras sur la jeune femme en essayant de la consoler, sans succès. Elle continuait toujours de pleurer avec la même intensité. Elle finit après un moment de pleurer, reculant de deux pas et la regardant avec un air vraiment… Désespéré. Le regard d’Alice se faisait doux, un regard qui signifiait qu’elle comprenait sa douleur. La cartographe avait vécu des choses très compliquées depuis son enfance, tellement que les moments heureux semblaient vraiment loin.

Ça faisait des mois qu’elle était membre du Fire Falcon, navire de la Compagnie des Indes, mais elle n’avait plus le goût d’y être. Elle voulait redevenir libre, vendre des cartes faites par sa propre main d’artiste et ne plus avoir de limites. Peut-être devrait-elle retourner dans la vie de pirate, qui était beaucoup plus belle de la vie d’une cartographe de la Compagnie. L’argent ne l’intéressait point, elle voulait seulement être libre… Était-ce un sentiment semblable que l’inconnue ressentait, ou est-ce que celle-ci remontait encore plus loin dans ses pensées ? Peut-être souffrait-elle d’une certaine mélancolie pour ce qui était de son passé, comme Alice l’avait fait il y a quelques années, quand elle avait su que ses parents étaient morts en la cherchant…

Cette pensée fit l’effet d’un poignard planté dans son cœur, retourné quelques fois dans celui-ci. Elle sentit sa gorge se serrer, regardant maintenant son interlocutrice avec un regard rempli d’appréhension.

- Tu dois vraiment souffrir… Fit-elle, dans un soupir. J’comprends ta peine, même si c’pas forcément la même chose.

La pluie s’était mise à tomber, depuis un bon moment déjà. Il ne restait que quelques personnes dehors, ils rentraient tous dans leurs maisons ou dans les auberges. Tout commençait à se calmer, maintenant. Les larmes n’étaient plus présentes, ou peut-être était-ce simplement une impression causée par la pluie qui tombait. Alice fit un autre soupir, essayant de ne pas rentrer dans ses propres souvenirs pour ne pas devoir s’isoler dans sa propre solitude… Encore une fois. La jeune femme mit ses mains sur les épaules de la jeune femme.

- Viens, faudrait pas rester icitte si on veut pas s’fare mouiller.

Alice la prit par le bras et la traîna dans une auberge, là où ils pourraient être au sec. Se sentant mal pour ce que la jeune femme pouvait vivre, elle aurait aimé en savoir plus pour essayer de l’aider..

Eva avait une immense envie de se serrer contre l’inconnue encore une foi et d’étancher ses larmes jusqu'à-ce qu’elle se sente bien. Mais c’était insensé. Elle se considérait déjà chanceuse que la femme ait bien réagit ; elle ne semblait pas trop choquée de l’attitude d’Eva. La pluie tombait de plus en plus fort et le vent se levait, forçant les vendeurs et les dockers à arrêter leurs travaux. Une tempête se préparait. Le cœur gros, Eva renifla ses larmes et essuya son visage trempé par la pluie et le chagrin, espérant voir un peu plus clairement. L’inconnue la fixait d’un regard plein de compassion et d’appréhension, et, à la limite, de pitié. Elle prononça quelques mots qu’Eva comprit difficilement, puis elle déposa ses mains sur les épaules de la jeune femme en disant qu’il faudrait rentrer.

Il faudrait rentrer.

Eva se remémora la raison pour laquelle elle était ici. Elle devait rentrer à bord de son navire avant le coucher du soleil. Mais elle s’en fichait à présent. Elle venait de prendre conscience qu’elle était libre de choisir ce qu’elle allait faire de son futur ; il lui suffisait de ne pas rentrer à bord du bâtiment. L’inconnue la pris par le bras et l’incita à la suivre. D’une certaine manière, Eva lui faisait confiance, elle lui emboita donc le pas sans poser de questions. Après avoir traversées un réseau de ruelles sinueuses, elles aboutirent devant une grande auberge. Eva entra à l’intérieur après la femme. Les flammes des lanternes oscillèrent sous l’effet du vent qui s’engouffrait dans la pièce. Elle referma la porte de bois derrière elle, puis elle suivit l’inconnue jusqu'à une table libre au fond de la salle principale. Les conversations qui s’étaient arrêtées sous le choc du souffle glacial repartirent dans un brouhaha incompréhensible.

Eva s’assis maladroitement sur une petite chaise en face de la femme dont elle ne connaissait toujours pas le nom. C’était la première fois qu’elle entrait dans un endroit pareil. La pièce grouillait de vie ; des hommes parlaient entre-deux, des femmes se laissaient séduire, des saoulons s’attiraient des ennuis et des serveuses couraient dans tout les sens pour répondre à la clientèle de l’auberge bondée. Eva se sentait déjà mieux. Elle essayait d’oublier sa nostalgie et son chagrin en se disant qu’elle repartait à zéro. Fini le voyage dans les Antilles néerlandaises et sa future vie de bourgeoise. Elle voulait faire quelque chose qu’elle aimait… Mais quoi ? Elle n’en avait aucune idée. Et pour le moment, elle était prise dans une ville ou elle ne connaissait personne et elle n’avait pas d’argent. Ca commençait plutôt mal pour recommencer sa vie…

Le rire d’un marin la fit sortir de ses pensées, puis, réalisant qu’elle avait les yeux dans le vide, elle regarda l’inconnue puis se força à sourire. Elle voulait tant la remercier, s’excuser et lui expliquer sa situation, mais elle ne trouvait pas les mots pour le faire. Premièrement parce qu’elle avait l’impression d’avoir une boule dans la gorge, deuxièmement parce qu’elle n’était pas douée avec les mots.

- Je m’appelle Eva, finit-elle simplement par dire en essayant de donner un peu de crédibilité à son sourire. Les gens tristes ont les plus beaux sourires, dit-on. Mais ce n’était pas vraiment le cas pour Eva. Elle n’était pas une bonne menteuse, sauf lorsqu’il s’agissait de ses sentiments.

L’auberge était remplie de déjà beaucoup de monde… Fallait croire que la tempête qui approchait attirait les foules dans ce genre d’endroit. Surement des voyageurs et autres personnes du genre. Alice pouvait voir quelques marins, ainsi que d’autres voyageurs qui semblaient en avoir beaucoup à dire. L’Acadienne s’était toujours demandé pourquoi tous les matelots d’un navire racontaient leurs exploits dans les auberges en revenant de leurs voyages. La plupart du temps, ce n’était rien d’extraordinaire, mais les marins trouvaient toujours le moyen de rendre une histoire intéressante, peut-être dans leurs tons de voix ou même en changeant quelques petits détails et en exagérant certains autres faits.

Après avoir détaillé tout ce qui se passait dans l’auberge, Alice retourna son attention vers la jeune inconnue qui lui avait pleuré dans les bras. Elle semblait un peu moins triste, mais une lueur de tristesse restait dans ses yeux. Elle soupira, ne voulant pas repenser au moment ou elle s’était jetée dans ses bras. Sa plus grande faiblesse – pour elle – étant son empathie, elle pouvait ressentir tout ce que les autres ressentaient. Son arrogance se dissipait toujours dans ce genre de moments, elle qui était habituée de ne jamais se montrer amicale avec quelqu’un, surtout si elle ne la connaissait pas.

Ses yeux d’émeraude se perdirent alors dans un autre monde, ainsi que toute sa pensée, qui vagabondait ailleurs, jusqu’à ce que la jeune femme lui dise son nom, ce qui la ramena à elle. Eva. Avec l’accent dans lequel elle l’avait dit, elle ne devait pas venir d’ici, même si son nom semblait commun un peu partout. Elle lui fit donc un sourire, voulant se montrer le moins rude possible envers cette jeune femme, déjà que son cœur venait d’en prendre un coup, sans qu’elle ne sache trop pourquoi. Tout cela pouvait-il provenir de les méandres de sa pensée ? C’était une option à considérer.

- J’suis Alice, Fit-elle, d’une voix douce mais tout de même forte pour se faire entendre dans tout ce vacarme.

Une des employés de l’auberge vinrent leur demander si elles voulaient quelque-chose, et Alice répondit qu’un verre d’eau serait bien. Celle-ci attendit qu’Eva dise quelque-chose avant de partir chercher ce dont les deux jeunes femmes avaient demandé. L’acadienne voyait toujours l’air de tristesse sur le visage de la jeune femme, et soupira une autre fois.

-S’tu veux, tu peux toujours en parler… S’fait toujours du bien d’sortir s’qu’on a sur le cœur..

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