Journée libre [libre]

Eva emprunta tranquillement la passerelle, suivie des autres passagers et matelots du navire, puis posa un pied ferme sur les quais de Port-Royal. L’air frai de la ville empli ses poumons et la douce brise de la mer lui caressa le visage. Elle resta immobile un moment, observant le merveilleux spectacle que lui offrait cette ville bourdonnante de vie. Un moussaillon derrière elle la fit revenir à la réalité. Eva se tassa pour laisser passer l’homme qui marmonnait une panoplie de jurons plus originaux les uns que les autres, impatient de sauter a son tour sur les quais.

Le capitaine du bâtiment avait laissé tout l’équipage et les passagers s’aventurer librement dans la ville avec pour seule condition qu’ils reviennent sur le navire avant le coucher du soleil. Le bateau repartirait le lendemain matin vers les Antilles néerlandaises, ou débarqueraient les passagers pour aller peupler la colonie. Eva ne saisissait pas vraiment le concept de peuplement et de colonisation, mais elle se disait qu’elle n’allait pas tarder à tout comprendre.

Eva fit quelques pas incertains. Elle n’avait ni arme, ni argent, ni aucun bien personnel. Ou pouvait-elle aller? Elle avait presque envie de rester à bord du navire. Mais elle n’était plus capable de supporter les vulgaires clins d’œil des matelots, l’air suffocant de la cale et la nourriture infâme du bateau. Elle se mit donc en route vers le centre de la ville, espérant y trouver un endroit reposant ou de la nourriture gratuite, ce qui était peu probable.

La tête ailleurs, elle pensait à son avenir et a ce qu’elle allait bientôt devenir. Elle devrait aller vivre et fonder une famille sur une petite ile perdue et elle n’avait pas son mot à dire. Elle y était obligée…

Quelle vie injuste !

Perdue dans ses réflexions, elle heurta une personne qu’elle n’avait pas vue. Eva s’empourpra.

- Je… Je suis désolée, vraiment

balbutia-t-elle, ébranlée. C’était sa faute. Elle le savait et elle l’assumerait.

- Je ne regardais pas ou j’allais…,

ajouta-t-elle rapidement avec un accent si mauvais que sa phrase fut presque incompréhensible. Les joues rouges de honte, elle releva la tête pour voir la personne qu’elle avait percutée.

[je te répond si ça ne te dérange pas ^^]

Le vague soleil diffusait ses rayons chauds et doux comme une pluie d'étoiles autour de lui, comme souriant à un ciel pur et bleu. Un temps bien rassurant. Hors, le problème; était que ce temps, restait omniprésent, de jour en jour, de minute en minute. Quel incontournable dilemme. La pluie, était chose si rare...Alors la neige, n'en parlons même pas! Pour tout dire ... Qu'aujourd'hui devait rester une journée mémorable. Après un petit passage dans les ruelles, après avoir remis quelques dossiers au fort, l'actionnaire londonienne n'attendait qu'un instant de surmenage. Elle voulait avoir quelque chose à faire, un travail, qu'importe. Rester libre, sans rien faire, c'était si perturbant. Alors que n'importe qui aurait prier le ciel pour ne serais-ce qu'une minute de tranquillité, l'anglaise, désirait tout le contraire.

Arrivée au port, Eurydice Mayfair vit un navire apparemment nouveau qui venait de s'amarrer au quai; intéressant. De nouveaux visages, et donc de nouvelles personnes à questionner sur leur identité, leur but et les finances dont ils disposaient. Tel était son travail, de se trouver une raison, de prendre ce qui lui était du. Mais si elle tombait sur un nid à pirates, encore mieux, elle s'en attirerait toutes les gloires, d'avoir trouver de futurs condamnés sur une liste, déjà bien remplie.

C'est la tête perturbée, un flot de pensées à l'esprit, qu'on la percuta soudainement. Sa première pensée, fut un juron mais ses lèvres restèrent scellées. Son regard, néanmoins se posa sur ce qui l'avait bousculée d'une manière aussi détournée. Une jeune fille. Blonde et fort mignonne pour son jeune âge -jeune, car d'après Eurydice, cette fille ne devait pas avoir plus de seize ans-.

Cette dernière semblait extrêmement gênée, rougissante comme une tomate rouge; elle parlait assez vite et son accent restait novice; ce qui fait que la grande blonde ne comprit absolument rien. Ce qui ne changeait pas de l'ordinaire, elle faisait souvent répéter les gens, parfois pour rien. Mais là. Eurydice ne dit rien sur le moment, cherchant ses mots, mais la réponse ne se fit guère attendre, comme un coup de vent.

_Ce n'est rien...

,dit-elle si bas qu'elle ne croyait pas avoir été entendue. Dire ces quelques mots était comme les lui arracher de la gorge, elle avait totalement oublié pourquoi elle s'était avancée, qui plus est. Mais à écouter son interlocutrice, Eurydice ne comprit que la moitié, elle jugea que ce dont il s'agissait était sûrement des excuses ...

_Vous pouvez répéter, je n'ai pas compris.

répondit-elle sèchement, mais elle eut comme une illumination, détaillant de haut en bas la jeune fille, elle compris et reprit brusquement, sur un ton visant la question.

_Ah, vous n'êtes pas d'origine anglaise, n'est-ce pas?

Quelle évidence, voilà pourquoi elle avait mal compris ce que lui disait l'adolescente. Mais dans ce cas, d'où venait-elle, et que faisait-elle à Port Royal? Chaque chose en son temps, songea Mayfair en fermant pendant une seconde ses yeux abyssaux, avant de les reporter, eux et son entière attention, sur la jeune fille, dont le nom lui restait encore inconnu.

[Mais bien sur que non, ca ne me dérange pas ]

Les yeux de la jeune fille se posèrent sur ce qui semblait être une riche bourgeoise. Des centaines d’images toutes plus invraisemblables les unes que les autres passèrent dans la tête d’Eva. Une riche. Ce mot l’effrayait. Elle avait appris à respecter ces gens fortunés, mais aussi à les craindre. Elle n’arrivait pas à croire que l’argent -une invention aussi inutile que cruelle d’après Eva- puisse rendre des gens très puissants et d’autres très minables. Elle n’y était pas habituée et elle devrait s’y faire.

Comme si elle n’était pas assez perturbée, l’arrogance de la dame déstabilisa d’avantage l’adolescente. Hébété, elle regardait son interlocutrice sans savoir quoi répondre. La femme se reprit, d’un ton un peu plus respectueux cette fois. Eva ouvrit la bouche et s’apprêtait à répondre dans sa langue maternelle, mais elle se ravisa. Non. Elle devait parler dans cette langue qu’elle dédaignait tant ; le français.

Elle chercha la bonne prononciation des mots pendant quelques secondes, puis fini par répondre le plus simplement possible.

Non. Je… viens d’ailleurs

dit-elle enfin en faisant un énorme effort pour ne pas laisser paraitre son accent. Elle n’appréciait guère la présence de cette femme et elle ne voulait pas trahir son origine.

Elle tenta de se dégager de l’étreinte de cette femme et ainsi de s’éloigner, mais elle n’y parvint pas. Ses membres refusèrent de bouger et la dame ne semblait pas vouloir la laisser partir aussi facilement. Eva commençait à avoir du mal à penser tellement la chaleur était insupportable. Elle regrettait une fois encore son pays ou les plaines étaient enneigées et où le soleil ne se pointait qu’à l’occasion.

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